Auteur : Cymoril
Un jeune homme marchait dans les rues de Karlaak. C’était une journée magnifique. Une veille de printemps. Une adolescente passa devant lui, le bousculant presque, pour se jeter dans les bras d'un garçon efflanqué. L'étranger sourit. Par-delà les mers, une femme l'attendait lui aussi. Il s’éloigna en direction de la rivière, vers les quais. Il traversa la rue et arriva sur l’énorme pont qui enjambait le fleuve.
Là, il vit un mendiant.
Le vieil homme tendait la main aux passants indifférents. Un mendiant parmi tant d'autres… Karlaak en regorgeait. Il avait beau quémander, gémir, menacer, nulle pièce ne tombait dans sa paume.
Le jeune homme s’approcha, curieux. Autour du cou du vieil homme, retenue par une ficelle effilochée, pendait un morceau d’ardoise. Il se pencha et lut : «aveugle ». Quoi de plus banal ?
Le mendiant, qui l’avait senti approcher se tourna vers lui en tendant une main maigre et fripée pour le toucher.
- S’il vous plaît Monseigneur. Pour un pauvre aveugle.
Pour toute aumône, l'inconnu posa son sac à terre, souleva le morceau d'ardoise et prit le morceau de craie brute qui y était suspendu.
- Mais Seigneur, que faites-vous ? Ce n’est pas charitable de se moquer d’un vieil homme…
Le voyageur effaça l’ardoise, écrivit quelques mots, la réajusta autour de son cou et tourna les talons sans un mot, respirant le parfum des arbres en fleur qui longeaient la rive avec un plaisir non dissimulé.
Le vieil aveugle était pétrifié, main tendue, ses yeux vides fixés sur l’inconnu qui s’éloignait et qu’il ne pouvait voir. Ce fut alors qu'un miracle se produisit : des pièces commencèrent à tomber dans sa main, les unes après les autres, comme une manne inespérée qui semblait ne plus vouloir tarir.
L'aveugle était époustouflé. Avait-il rencontré un magicien ? Une femme déposa une piécette dans le creux de sa paume et il lui saisit le poignet.
- Je vous en prie Madame, aidez-moi !
- T'aider ?
- Madame… je ne comprends pas ce qui vient de se passer. J’étais là, comme d’habitude, sur le pont, à attendre des aumônes qui ne venaient pas et un homme est passé. Il a écrit quelque chose sur mon ardoise et… par le ciel ! C’est merveilleux, Madame, tout le monde a commencé à me donner de l’argent ! Etait-ce un magicien ? Je vous en prie Madame, dites-moi ce qu’il a écrit ! Est-ce une formule magique ?
La jeune femme relut le message laissé par Elric et sourit. Est magicien celui qui sait toucher le cœur des hommes car, sur le morceau d'ardoise, le Melnibonéen avait tout simplement écrit cela :
« Demain c’est le printemps et je ne le verrai pas ».
FIN
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